dimanche 24 janvier 2016

atelier d'écriture 206

© Kot(images)

Merci à Bricabook pour sa proposition de photo et à Kot pour sa photo
( et merci à Mme Bizot, dont la lecture du livre " Dix!" m'a inspiré.

"Ça y est. Il est l’heure. Il faut y aller.
Il plie son journal soigneusement. Depuis tout à l’heure il le fixait… mais le voyait-il ? Non. C’était juste pour ne pas avoir les mains vides, pour ne pas sembler inoccupé qu’il l’avait déplié. Les lettres dansaient devant ses yeux, accrochées les unes aux autres. Elles ne formaient pas des mots, juste des suites de petits dessins, comme un code secret inconnu. Aucun sens. En aurait-il combiné les sons qu’elles devaient coder, il n’aurait pas compris les sens des mots ainsi produits. Comme quand, enfant il prononçait des dizaines de fois d’affilées le même mot et que celui-ci perdait tout sens ….

Il a déchaussé ses lunettes. Une fois encore il en a soigneusement replié les branches.
Ses yeux fixent cet «  empilement » de ses lunettes sur le journal et mais il le voit pas. Son esprit est ailleurs. Il est déjà dans le futur. Dans ce moment tant attendu. Dans ce moment mille fois imaginé, inventé. Espéré. Craint.  Il a tenté d’en prévoir chaque minute, tout en sachant que tout sera différent.
Depuis des jours, depuis le premier instant même, il l’a imaginé ce rendez-vous.
Après tant de temps. Comment revenir face à lui, comment l’affronter après… après ce qu’il a fait.
A chaque seconde, à chaque pas qu’il avait fait pour s’éloigner de lui, dans ce parc, il avait regretté. Une petite voix en lui avait essayé de le convaincre que c’était pour le mieux, qu’il ne serait jamais à la hauteur de toute façon… Une petite voix qu’il avait tentée de museler.  Mais même si elle s’était tue, elle était restée, comme en sous-titre dans chaque acte de sa vie, dans chacune des minutes de sa vie. Pendant ses 20 dernières années... Un sous-titre brûlant, cassant. Un sous titre qui lui vrillait les entrailles : «  tu l’as abandonné ».
Et puis il y avait eu ce jour où il avait pris la décision de le recontacter. Pris la décision ? Non. Il ne l’avait pas pris lui-même cette décision. C’est son corps qui avait décidé pour lui. Ce sont ses doigts qui avaient tapé son prénom dans le moteur de recherche internet. Ce sont ces doigts qui avaient tapé le message laconique «  je voudrais te revoir », sa main encore qui avait guidé la flèche de la souris vers le mot «  envoyer », puis cliqué. Son corps avait fait sécession. Il n’avait pas laissé le choix à sa tête. Peut être était-ce en s’alliant avec son cœur que son corps avait ainsi pu prendre le pouvoir. Il ne saurait jamais.
De toute façon, il était trop tard. Dans quelques minutes, il allait se lever, traverser la rue et aborder le jeune homme qui attendait depuis quelques minutes de l’autre côté de la rue.  Un jeune homme qui attendait depuis 20 ans.
Depuis qu’il avait marché à reculons  vers le petit portail métallique rouillé de ce parc…."

10 commentaires:

  1. Un début vraiment bluffant, sur cet esprit qui ne veut plus se laisser distraire par les mots. J'aime beaucoup l'idée que les sens, le corps prennent le dessus sur l'intellect.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. un peu flippant comme idée mais je pense que c'est parfois vrai ...

      Supprimer
  2. J'aime beaucoup l'idée de cette histoire et l'émotion qui s'en dégage....Joli texte.

    RépondreSupprimer
  3. Un texte émouvant dont on aimerait connaitre la suite.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. la suite est laissée à l'imagination du lecteur... car de multiple suite sont possibles!!!!!!!!!!
      merci de votre lecture!

      Supprimer
  4. Ouh terrible texte ... l'abandon n'est-il pas la pire chose qu'on puisse infliger et s'infliger ?

    En tout cas, je comprends que les mots dansent devant lui ... tu as bien croqué cette émotion.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. merci ...l'abandon peut être multiple ... et parfois on peut s'abandonner soit même, se renier...

      Supprimer
  5. Difficiles "retrouvailles", si bien exprimées.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. retrouvailles qui ne sont pas seulement celle d'un père et son fils, mais aussi d'un homme avec lui même !

      Supprimer