mardi 26 février 2019

Et boire ma vie jusqu’à l’oubli (Cathy Galliègue)


Et boire ma vie jusqu'à l'oubli

 
  •  Et boire ma vie jusqu’à l’oubli (Cathy Galliègue)
  • Broché: 250 pages
  • Editeur : COLLAS (5 octobre 2018)
  • Collection : EMMANUELLE COLL
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2490155075
  • ISBN-13: 978-2490155071






Mon résumé :
Il y a 5 ans, Betty a perdu Simon. Brutalement. Pour tenir le coup, pour tenter de continuer d’avancer, elle s’est mise à boire. Tous les soirs, quand leur fils, Raphaël dort, elle enlève le masque, ouvre une bouteille, et se sert un verre, puis un deuxième… jusqu’à être complètement ivre.
Jusqu’à ce que la douleur soit anesthésiée. Jusqu’à ce qu’elle oublie tout, l’enfance, la disparition de sa mère, les questions sans réponse…  et la douleur.
Le matin, elle remet le masque, joue la comédie pour son fils, ses proches.

 Mon avis :
La lecture des premières lignes a failli me faire abandonner… J’ai eu peur de ne pas accrocher au récit de cette femme qui boit et qui parle à Françoise Sagan.
Et puis le rythme des phrases, la puissance de mots, la puissance des émotions m’ont emportée.
Je me suis attachée à Betty, à cette femme forte qui essaye tant bien que mal de faire face, qui tente de continuer la route, de trouver le courage de se lever chaque matin, pour son fils. Elle reconnaît ses failles, les admet. J’ai aimé sa façon de revisiter son passé, pour essayer de comprendre, de savoir. Comment ne pas être touchée par le récit de son enfance, de sa relation à son père, à sa grand-mère (qui m’a fait penser à mes grand-mères à moi, qui m’a rappelé des souvenirs d’enfance que j’aurais cru perdus, dissous dans ma mémoire.)
La mémoire, ou plutôt les mémoires comme dit Betty, cette chose jamais figée, toujours en évolution et que l’on revisite sans arrêt, sans le vouloir ou le savoir.
Cette mémoire qui peut nous aider à avancer, en nous rappelant les bons souvenirs, ou nous renvoyer en pleine face nos erreurs, les mauvais moments, les mauvaises décisions.
L’oubli est parfois salvateur pour avancer, mais il est parfois un empêcheur d’avancer justement, car il empêche de trouver les réponses aux questions que l’on se pose.
Il n’y a pas que Betty qui trottera longtemps dans ma mémoire : il y a aussi son père et les choix qu’il a fait, il y a Simon même s’il est décédé au début du livre.

Que dire de plus ? Que ce livre n’est pas un récit d’ivrogne, ou plein de mièvrerie, il est le récit d’une femme blessée, qui tente de s’en sortir comme elle peut. Il parle de l’amour familiale, du pouvoir de l’amour.
Il aborde le sujet des choix que l’on fait ; ceux que l’on pense bons sur le moment, mais qui ne le sont pas toujours à terme. Il parle du poids du silence, celui qui nous empêche d’aller à la rencontre de ceux que l’on aime, celui qui, sous prétexte de respect de la vie privée, nous voile les yeux, nous empêche de voir la souffrance des autres.
Il rappelle aussi que l’on ne connaît souvent de l’autre, que ce que cet autre nous laisse connaître de lui.  
Merci Mme Galliègue pour ce magnifique récit, pour ces mots qui prennent aux tripes. Merci pour la grand-mère de Betty qui m’a rappelé mes petites mamies à moi, de moments apparemment banals que j’ai partagé avec elles et qui sont maintenant aussi précieux que des trésors…
« La petite vie d’une femme qui a fait de moi une grande »

samedi 9 février 2019

Le bus ( Mélanie Richoz)


Le Bus: Roman

 
 
  •  Le bus ( Mélanie Richoz)
  • Broché: 144 pages
  • Editeur : Editions Slatkine (29 août 2018)
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2832108814
  • ISBN-13: 978-2832108819



Mon résumé :
Cerise est belle, élancée, gracieuse. Elle plaît aux hommes. Adolescente déjà c’était une jolie jeune fille. Depuis que sa jeune sœur a lu son journal intime, elle dessine  ses émotions à la craie, avec des tisons… Elle noircie des pages.
Mais Cerise n’est pas une femme comme les autres. Elle n’est pas comme ses sœurs Jeanne et Léonie. Elle n’a pas d’enfant, elle. Elle n’en aura jamais. Car elle a une « pathologie ». Ses sœurs savent qu’elle a quelque chose de différent, mais rien n’a été dit, vraiment.

  Coup de coeur !!!

Mon avis :
Qu’est-ce qu’être une femme ? Est-ce avoir ses règles tous les mois ? Est-ce être mère ? Est-ce pouvoir le devenir dès l’adolescence ?
Ou bien est-ce pouvoir ressentir du plaisir avec quelqu’un ? avec un homme ? avec une femme ?
Et qu’est-ce qu’être mère ? Nourrir et habiller ses enfants ? Les mettre au monde ? Les aimer ?
Et que transmettre de la maternité et de la féminité à sa ou ses filles ? Comment le transmettre ?
Dans ce trop court livre il est question de tout cela. Il est aussi question de s’accepter soi-même pour être acceptée par les autres. Il est question des silences qui empêchent d’avancer ou qui coupent les ailes. Il est question de la difficulté, pour une mère, d’accepter que sa fille devienne une femme, qu’elle découvre le plaisir, qu’elle vive une histoire avec un homme.
Il est question de relation entre sœurs, de descendance.
Un livre trop court, des portraits de femmes magnifiques qui se construisent comme elles peuvent, chacune avec ses interdits et ses tabous, avec ses désirs…
Et des mots qui frappent au cœur, au ventre. Des mots qui suscitent la réflexion….
Un grand merci à Mélanie Richoz, pour ses mots si justes, pour sa sensibilité et son respect pour ses personnages.
J’espère qu’elle acceptera mes excuses pour avoir tant tarder à parler de ce que j’avais pourtant dévoré dès réception… en août dernier. Ma deuxième lecture, il y a quelques jours, m’a permis de mieux le savourer, de mieux comprendre chacun des personnages !

Au fil des pages ….

« A son avis, sans le verbe, l’autre se réfère d’avantage à lui, à ce qu’il ressent, et non à ce qu’il croit comprendre d’un récit extérieur, soumis trop vite au jugement.
On est fort pour ne s’en tenir seulement qu’aux mots,
toujours aux mots
et rien qu’aux mots…
Aux mots qui banalisent l’émotion en intellectualisant les petits bonheurs comme les grosses déceptions. Rationaliser, polir.
Barricader.
Exagérer, déjouer.
Mentir. »
« Dès lors, j’ai anticipé le pire, afin de pouvoir y faire face au cas où. »
« En donnant la vie j’ai pris conscience de la mort » 
« Toutes ces années, Cerise s’est donc construite sur un tabou qui, entre l’inexpliqué et l’inexprimable, creuse le sillon des non-dits et des quiproquos qui confinent à la honte. »
« L’accumulation des absences avait fini par creuser les fêlures du manque par lesquelles s’écoulaient même les instants les plus pleins.
Maintenant c’est le manque qui lui manque. »
« Des larmes d’enfant
des larmes d’hier
pour une mère dont j’ai fait le deuil il y a plusieurs mois mais que je continue à perdre chaque jour. »
« Le bonheur, comme un chat fuit si on le course, mais c’est sans compter l’apprivoiser.
Sous les caresses, le chat ronronne, non ? »
 

dimanche 3 février 2019

Drôle d’hiver ( Agnès Lacor)


Drôle d'hiver

  •  Drôle d’hiver ( Agnès Lacor)
  • Broché: 189 pages
  • Editeur : Tohu-Bohu éditions (4 janvier 2019)
  • Collection : ROMAN
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2376220807
  • ISBN-13: 978-2376220800
  • Dimensions du produit: 20 x 1,8 x 15,5 cm





Certains personnages hantent longtemps dans la mémoire des lecteurs … à peine avais-je lu les premières lignes de ce que je savais qu’Emma allait être de ceux-là…
Mon résumé :
Quel âge a Emma ? difficile à dire : si pour l’Etat civil c’est 16 ans presque 17… dans sa tête… c’est autre chose.
Emma vit avec sa mère qui est concierge dans un immeuble parisien.
Au moment où commence son récit, elle s’est « installée » dans la chambre que sa mère occupe à l’hôpital. Celle-ci est  victime d’hémiplégie et d’aphasie. Si elle récupère doucement au niveau des gestes, sa parole est toujours absente.
Alors c’est Emma qui parle pour elles deux.
Elle raconte leur vie dans l’appartement parisien, entre Rose (la propriétaire grippe-sous), la famille Poinsonnet ( dont le fils a décidé de tester avec Emma toutes les positions du kamasutra dans des « quart d’heure sexe »). Il y a aussi Jésus l’italien du dessus, un confident pour Emma a qui elle demande d’installer des toilettes dans l’appartemetn pour éviter de partager celles au fond de la cour.
En trame de fond de ce récit, résonne son amour pour sa mère, sa difficulté à assumer son nouveau rôle de « fille-mère » pour une mère privée de parole. L’adolescence est déjà un passage difficile pour n’importe quelle jeune fille de 16 ans, mais comment être ado et se rebeller contre une mère dont on doit prendre soin, dont on ne sait pas si elle redeviendra un jour « comme avant ». Emma nous raconte aussi celle qu’elle est « à l’extérieur », et en particulier sa relation aux hommes, à son corps.

Mon avis :
Chaque livre a une histoire. Je pourrais presque dire que c’est par hasard que j’ai lu celui-ci. Je l’avais choisi lors d’une masse critique de Babelio.  Mais au moment de confirmer mon choix, bug de la page internet…pressée (et stressée par mon inspection) je n’ai pas recommencé mon choix. Quelle ne fut pas ma surprise donc de recevoir un mail m’annonçant, quelques jours plus tard que j’allais le recevoir.
Un hasard donc, mais un heureux hasard !!! J’ai aimé cette lecture pour sa dureté et sa tendresse mêlées : il n’y a qu’une voix dans ce récit, celle d’Emma, mais quelle voix !!! Chacun de ses mots frappent au cœur, remuent les tripes de son lecteur. On sent la femme qui émerge sous l’adolescente. Une naissance prématurée, anticipée à cause des évènements ; On sent l’enfant fragilisée, même si elle ne le dit pas, par l’absence d’un père, par sa non-existence dans sa vie.
Agnès Lacor manie les mots avec talent ;
Ce livre aurait pu être lourd par son ambiance, par le sujet, mais il ne l’est pas grâce à l’humour. Car les personnages qu’elle invente sont tour à tour, attendrissant, drôle, repoussant, réels en fait. Pas de » les hommes sont méchants et les femmes sont gentilles ». Dans chacun on retrouve une personne de notre quotidien croisée ou côtoyée plus longuement.
Il y a de l’humour donc mais aussi et surtout beaucoup d’amour aussi dans cette histoire. L’amour transpire chacun des mots qu’Emma adresse à sa mère ou utilise pour parler d’elle. Malgré l’envie qu’elle aurait d’une vie plus douce, plus extravagante pour sa mère, elle ne la juge jamais.
Je remercie vraiment Babelio pour cette lecture, qui va longtemps raisonner et que je conseille.

« Il a parlé de mon courage (le docteur). Il ne m’a pas laissé lui répondre que je ne savais pas faire autrement. Que loin de toi c’est la peur. »
« Je retourne dans la chambre des silences. Tes silences, pas les miens. Moi je n’arrête pas de te couvrir de mots. Il y en a que tu comprends. »
« Tout ce morceau de toi qui est parti avec tes mots. Ton silence m’a emportée au fond d’un gouffre. Je t‘en veux. Pour toi. Pour moi. »
« Je pense à ta vie sans hommes, à ce corps jamais partagée qui reste silencieux. Je voudrais te dire qu’il m’appartient, que j’ai le droit de connaitre ton histoire, que c’est aussi mon histoire. Mais il garde son secret. En perdant ses mots, il s’est construit la plus terrible des forteresses. Même ta fille ne parvient pas à la franchir. »
« N’importe quel homme dans cette rue pouvait s’appeler Jean Dumage. Un père sans visage, ça se colle n’importe où. Dans la peau des plus laids ou des plus beaux. C’est une question d’humeur ou de temps qu’il fait. »
« J’avais déjà le gout de ton silence dans la bouche. Les jours ont coulé, on me dit que je suis grande. Je dois le croire. Ton immobilité m’y oblige. J’ai envie de te dire que sans toi, ce serait mieux. Mais ce n’est pas vrai. Je suis là, à t’attendre. Pourquoi me suis-je réveillée ce matin sans savoir si je voulais encore attendre. J’ai besoin d’un signe de toi. »